La grossesse et les gens

Publié le par Mamasperger

La grossesse et les gens

La grossesse c'est avant tout un rapport différent avec les gens.

Alors il faut bien comprendre qu'en tant qu'autiste, le rapport aux gens c'est vraiment le cœur du problème, depuis toujours.

Les gens sont source de bruit (trop), d'odeurs (trop), de regards (indéchiffrables), de contacts physiques (non sollicités), de règles et conventions sociales (perpétuellement mouvantes - ce qui s'applique avec une personne ou dans un groupe donné ne s'appliquera pas avec d'autres, et même parfois ça peut changer en fonction de l'humeur, de l'ambiance, d'une personne de plus ou de moins... - et incompréhensibles - quand est-ce qu'on doit être sincère ? A quelle dose ? Que peut-on dire sans blesser ? Et la réponse n'est jamais "Si c'est vrai on peut le dire !" Non non non, surtout pas.)

Ce n'est pas vraiment que tu ne veuilles pas avoir de contacts avec les gens, mais face à la complexité et au taux d'échec, aux souffrances diverses que tu traverses (et que tu provoques, sans le vouloir ni t'en rendre compte, mais en passant souvent au passage pour quelqu'un d'égocentrique-manipulateur-insensible) tu as quand-même souvent envie de jeter l'éponge.

 

"JE HAIS LES HUMAINS !"

V., 15 ans, après un trajet de bus particulièrement éprouvant.

Ça fait des années que tu essaies de naviguer dans ce maëlstrom incompréhensible, que tu essaies de définir des lois à quelque chose de perpétuellement instable et mouvant, que tu galères, que tu lâches l'affaire, que tu recommences tant bien que mal...

Et là brusquement tout change encore !

Tu es enceinte, et tout à coup, les gens sont prévenants. Te sourient. Te parlent. Te touchent. Veulent savoir. Donner un avis (déguisé en conseil).

 

Côtés positifs :

En tant que femme enceinte tu as une place - et une identité - dans la société.

En général toutes les interactions avec des inconnus (magasins, administration, commande au bar ou restaurant, ou simplement marcher dans la rue...) sont sources pour moi d'incompréhension (au mieux) d'angoisse (au pire) et globalement renforcent ce sentiment de décalage. Et inversement, je vois bien que je mets les gens mal à l'aise parce que je ne colle pas à une des images qu'ils ont en tête.

Or quand tu fais pousser un être humain, on t'identifie facilement : tu es une femme enceinte - mieux, tu es une future mère. Tu fais partie d'un groupe de population à part entière, un auquel les gens peuvent se relier. (Oui non parce que "autiste", ça ne fait pas particulièrement rêver, allez savoir pourquoi indecisionlaugh.)

Pour moi ce fut une petite révolution : la grossesse (et la parentalité) c'est la première fois de ma vie que je me suis réellement sentie appartenir à l'espèce humaine.

Et la conséquence bonus c'est que toutes tes bizarreries, tes hypersensibilités, tes réactions épidermiques ont une raison : la grossesse ! C'est une cause nettement plus facilement identifiable que "un fonctionnement neurologique atypique" pour les gens, du coup ils sont prévenants, patients et compréhensifs !

C'est un aspect qui m'a à la fois fait beaucoup de bien tout en suscitant ma méfiance d'extra-terrestre : toutes les limites autistiques que tu n'oses pas formuler, toutes celles que tu as exprimées du bout des lèvres et qui se sont heurtées à un bon gros "Fais un effort !", tout (ou presque) est permis ! Les gens regardent ton ventre, et d'un coup ils sourient et deviennent gentils avec toi.

Pourquoi " méfiance" ? Parce que j'ai mis du temps à comprendre pourquoi l'attitude des gens changeait (vu que je n'avais rien changé à mon propre comportement) et que quand on est gentil avec moi je n'ai pas la capacité de me rendre compte si c'est sincère ou non, ce qui m'a valu par le passé pas mal de déconvenues... Mais là, c'était sincère. Même si ça n'avait rien à voir avec moi, parce que...

 

Côtés négatifs :

En fait, ce que j'ai découvert c'est que ça fait plaisir aux gens qu'une femme soit enceinte. N'importe quelle femme. (Blanche hétérosexuelle et ni-trop-jeune ni-trop-vieille évidemment, ha ha ha laughindecisionsad)  Ça me semble assez absurde parce que je pourrais être une parfaite conn... en train de se reproduire, il n'y aurait pas forcément de quoi se réjouir. C'est l'éternelle logique incompréhensible des a priori, qu'ils soient positifs ou négatifs.

Du coup même si j'ai beaucoup apprécié la prévenance dont j'ai été entourée, je ne pouvais pas ignorer que les gens n'étaient pas sympa spécifiquement avec moi, mais plutôt avec l'image qu'ils ont de la femme enceinte. Pour moi c'est déstabilisant : une grossesse c'est avant tout un potentiel, et chacun y projette des choses très personnelles. Ce n'est pas évident à démêler et ça me met très mal à l'aise.

Et par ailleurs, une part de moi avait envie de dire : "C'est pas parce que je suis enceinte que je suis fatiguée ! C'est parce que j'ai eu trop d'interactions dans la journée !" Cette même part qui a désespérément besoin d'être acceptée pour ce qu'elle est, avec ses bizarreries et ses difficultés. Cette part trouve ça profondément injuste que moi enceinte = gens prévenants quand moi autiste = gens pas prévenants. (Oui, cette part de moi est un peu binaire...)

Soyons clairs : je comprends très bien pourquoi c'est comme ça (handicap invisible VS instinct primaire de protection pour perpétuer l'espèce) mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'on est dans une société qui prend plus soin d'une personne quand elle a eu un rapport sexuel non protégé, que d'une personne qui galère depuis sa plus tendre enfance à cause d'un trouble neuro-développemental dont elle n'est pas responsable et qu'elle n'a pas choisi.

La grossesse et les gens

Enfin, comme je le disais en préambule, les gens te parlent et te touchent.

indecision

Ai-je besoin de préciser en quoi c'est un problème ?

Double dose d'interactions non-consenties. Baisser la tête pour éviter au maximum d'attirer l'attention de cette gentille vieille dame qui a très envie de parler grossesse avec toi. 

Les gens te posent des questions comme : "c'est pour quand ?"

Euh, on se connait ? Vous voulez savoir quand est-ce que je vais faire sortir un être humain de mon utérus et de mon vagin ? On pourrait pas commencer par échanger des choses un tout petit peu moins intimes d'abord ? Comme, je sais pas, nos noms et prénoms par exemple...

(Oui oui oui, on m'a déjà expliqué que ce n'est pas à ça que les gens pensent quand ils posent la question. Malheureusement ça ne change rien à ce que ça me fait ressentir.)

Les gens te touchent. Le ventre évidemment, le grand classique que de nombreuses femmes enceintes - même neurotypiques - trouvent désagréable. Mais même au delà de ça les gens te touchent le bras, se rapprochent. Je ne parle pas de ta mère ou ta sœur (bien que pour moi ça ne change rien car je ne supporte le contact physique de personne sauf mon mari et mon fils) (et encore) mais bel et bien d'inconnus ! Quand tu fais pousser un être humain, ça concerne l'humanité entière apparemment. Tu deviens un peu propriété publique. Encore une fois, je comprends le concept mais je ne peux pas y adhérer : pour moi, la grossesse est un moment éminemment intime.

 

Bon, en définitive j'ai quand-même vécu cet aspect de ma grossesse de manière positive. D'une part, ça m'a énormément soulagée de pouvoir exprimer mes limites (même si parfois la grossesse n'était qu'un prétexte). Ça m'a appris à le faire, ce qui n'était pas évident pour moi d'autant plus que j'étais en cours de diagnostic à l'époque. D'autre part même si j'ai trouvé ça absurde et injuste, cette bienveillance générale m'a fait beaucoup de bien blush

 

Et vous, (futurs) parents neuro-atypiques ? Comment ça s'est passé pour vous ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article