Le besoin d'un diagnostic
Comme je l'expliquais dans cette note, le besoin d'avoir un diagnostic officiel n'a pas toujours été présent de la même manière depuis que j'ai découvert le syndrome d'Asperger.
Au début c'était déjà un énorme soulagement d'avoir enfin accès à des clés de compréhension adaptées à mon vécu, notamment à travers un vocabulaire précis :
Surcharges sensorielles. Effondrements autistiques. Stéréotypies. Communication non-verbale. Intérêts spécifiques. Synesthésie. Prosopagnosie. (Liste non-exhaustive)
Ce vocabulaire et les concepts qui y sont associés m'ont permis en premier lieu de mieux me comprendre, puis de parler à mes proches de ces ressentis et difficultés que jusque là nous n'avions jamais pu nous expliquer.
Pendant un temps, cela m'a suffi.
Mais une fois passés les débuts et la boulimie de lecture sur le sujet, je me suis installée dans une sorte de routine. Quand cela me semblait nécessaire j'annonçais à mon interlocuteur "Je suis très probablement autiste Asperger" pour expliquer certains besoins, certaines particularités - et cet auto-diagnostic était la plupart du temps reçu avec écoute et bienveillance.
Paradoxalement cette absence de remise en question de l'extérieur est une des raisons pour lesquelles je ne me suis pas rendue compte que j'étais bien installée dans un syndrome de l'imposteur. En gros, même quand j'annonçais mon probable diagnostic, je n'y croyais pas vraiment moi-même.
Ce déni avait deux conséquences liées l'une à l'autre :
D'une part, je continuais à me faire violence, sans m'en rendre compte la plupart du temps. C'est à dire que je continu(ais) à m'imposer des situations sociales insupportables, des rythmes de journées insoutenables et des masques intenables... parce que ça faisait plaisir à quelqu'un, parce que ça semblait trop bizarre de refuser, parce que c'était plus facile que d'assumer d'être étrange.
J'essayais de continuer à me faire croire que je pouvais être normale, parce que j'avais très peur de faire face à l'idée d'être réellement, d'une certaine manière, handicapée.
Evidemment, ces moments étaient systématiquement jalonnés de fatigue extrême, crises de larmes, angoisses, mutismes, annulations de dernière minute etc... Qui me ramenaient à la question de mon potentiel autisme.
Sauf que...
Comme je l'ai déjà dit, je suis la reine de la dissociation. Cela est du au fait que j'ai grandi avec l'idée que j'étais un monstre. Donc la voix intérieure qui renforçait cette image de moi n'allait pas lâcher l'affaire aussi facilement !
"Si tu crois que tu es autiste c'est parce que tu te cherches des excuses. Tu es trop casanière. Tu ne fais pas attention aux autres. Tu es trop rigide. Pas assez accueillante. Tu es égocentrique et condescendante. Tu as des facilités et tu n'en fais rien. Tu es fainéante. Tu exagères tes hypersensorialités. Tu es trop indulgente envers toi-même. Tu ne supportes rien." (Liste non-exhaustive #2).
Cette voix-là n'est pas uniquement liée à mon autisme mais également à d'autres facteurs psychologiques liés à mon histoire personnelle et familiale.
Il n'empêche : pour commencer à envisager de m'accepter et m'aimer pleinement comme je suis, il était nécessaire en premier lieu de pouvoir faire un peu taire cette voix. Et le diagnostic officiel était pour cela indispensable.
Et puis...
Et puis...
Et puis, surtout, B. est arrivé dans ma vie.
Les premiers mois d'un bébé, ce n'est simple pour personne (ou alors vraiment une minorité à qui je tire mon chapeau) (c'est une image, en réalité je n'ai pas de chapeau mais un casque anti-bruit sur la tête).
Pour ma part, j'ai clairement vu mes traits autistiques se renforcer à cette période-là.
En cause principalement, l'augmentation significative de surcharges cognitives, sensorielles et émotionnelles.
Cognitives car en effet s'occuper d'un bébé c'est devoir acquérir tout un tas de compétences sur le tas, avec pour évaluation le bien-être et la santé de ton enfant. Pas exactement simple quand tu dors 6h par nuit en 4 fois.
Sensorielles parce que ton corps est un champs de bataille, parce que le bébé pleure, parce qu'il tète, parce qu'il te griffe, te tripote, bouge... (je rappelle que dans ma tête mouvement = bruit #synesthésie)
Emotionnelles parce que les hormones partent dans tous les sens, parce que tu stresses de faire une connerie, parce que tu as un rush d'amour pour ton bébé tellement puissant qu'il fait mal, parce que tu es branché sur ses besoins et ses émotions et que tout ce qu'il traverse est super intense, etc... (liste non exhaustive #3)
Alors quand, en temps normal, aller au supermarché du village à 15h30 le mardi c'est déjà une épreuve en terme de surcharges, autant dire que là on est sur du hors-concours.
Autre fait notable, la fameuse fatigue extrême des jeunes parents qui entraîne non seulement un sacré ralentissement du cerveau, mais également des trous de mémoire (je pense que toutes les jeunes mères savent de quoi je parle ).
Le problème pour moi, c'est que ça m'empêche d'avoir accès à l'une de mes principales stratégies adaptatives.
En effet celle-ci s'appuie précisément sur le fait que d'ordinaire j'ai une vitesse de traitement particulièrement élevée et une mémoire assez exceptionnelle ("flippante" selon certains proches ).
Concrètement, face à n'importe quelle situation, toutes mes expériences antérieures similaires défilent à toute vitesse afin que je puisse les comparer et en déterminer le pourcentage de chance que la personne soit bienveillante / en train d'utiliser de l'ironie / moqueuse mais pas méchante / triste mais en train de le cacher / passivement agressive / mal à l'aise tout en essayant de donner le change etc etc etc...
Comme les combinaisons sont infinies, évidemment je me trompe quand-même.
Mais alors imaginons maintenant que je ne puisse plus avoir accès à cette vitesse de traitement, ni à la banque de donnée : on peut aisément comprendre que cela mette grandement à mal ma principale stratégie adaptative.
Le résultat, c'est que je me retrouve à ne plus savoir comment interpréter la situation sociale, et donc à ne plus savoir non plus quelle peut être la réponse ou le positionnement approprié - ce qui veut dire que je ne peux pas choisir le bon masque à mettre et donc soit je me trompe, soit (pire) je n'en mets pas ce qui est la porte ouverte aux effondrements autistiques.
Le diagnostic est devenu une urgence pour faire face à tout cela.
Je n'ai pas un grand instinct d'auto-préservation, mais j'ai un fort instinct protecteur - d'où le rapport avec B.
Que mon fils puisse se retrouver avec une maman en shutdown ou meltdown, incapable de s'occuper de lui ? Hors de question. Qu'il puisse s'imaginer que je le rejette quand je suis en saturation sensorielle ? Insupportable. Qu'il grandisse avec une maman imprévisible et dont il aurait honte ? Inenvisageable.
Seule solution : travailler le plus consciemment possible sur mes traits autistiques pour éviter au maximum que B. n'en pâtisse lui aussi.
Et pour cela, il fallait tout d'abord que le doute ne soit plus permis.
Enfin, il serait hypocrite de ne pas mentionner l'éventualité que B. s'avère également avoir un fonctionnement neuro-atypique. De par sa génétique, il est statistiquement possible que B. soit HPI. Ou autiste. Ou les deux.
N'allons pas imaginer que je le souhaite particulièrement, ni que je sois à l'affût d'une potentielle différence. Je dis juste que c'est tout à fait possible.
Quoi qu'il en soit, si mon fils s'avère être neuro-atypique je serai bien plus à même de l'écouter, de le comprendre et de l'accompagner si je suis au clair sur l'autisme dans ma propre vie.
Si mon propre père avait eu conscience de ses traits autistiques et avait appris à les aimer et les accepter... si ma mère avait su à l'époque tout ce qu'elle sait maintenant sur l'autisme... beaucoup de souffrances auraient pu être évitées.
Je veux offrir autre chose à B.