L'autiste enceinte et le corps (médical)

Publié le par Mamasperger

L'autiste enceinte et le corps (médical)

Préambule : cet article peut concerner non seulement les femmes autistes et les mères, mais également la population féminine en général.

Toutes les femmes qui ont vécu une grossesse le savent : être enceinte (en France tout du moins) est une aventure hautement médicalisée. Ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas y échapper, ça veut juste dire que le sujet est là, que vous le vouliez ou non.

Or le rapport au soin et au milieu médical est souvent problématique pour la population autistique.

J'ai déjà développé les angoisses liées au rendez-vous médical au début de cet article, mais il y a d'autres aspects qui méritent d'être mentionnés. Je pense notamment à la confiance en soi sur le plan du rapport au corps, et à la confiance qu'on peut accorder au corps médical.

Confiance, corps... chacun de ces mots est ici utilisé dans des sens différents, mais qui se font écho.

Le rapport au corps est quelque chose d'éminemment personnel, et il n'en existe pas une version typiquement autistique. (D'une manière générale d'ailleurs, l'autisme étant un spectre, il peut prendre des formes assez variées.)

Cela étant dit, on retrouve très fréquemment dans la population autistique des difficultés de proprioception qui peuvent aller jusqu'à la dyspraxie. J'ai la chance de ne pas être concernée par ce trouble, mais malgré tout je me cogne assez violemment tous les jours, la plupart des objets m'échappent des mains, je trébuche ou tombe assez fréquemment et j'ai beaucoup de mal à me repérer dans l'espace.

Et bien sûr, cela s'intensifie en cas de fatigue.

Alors quand déjà d'ordinaire vous ne passez pas les portes sans heurt, essayez d'imaginer ce que ça donne enceinte...

Espace minimum autour de l'autiste enceinte pour qu'elle ait la p... euh, pour qu'elle ne se blesse pas.

Espace minimum autour de l'autiste enceinte pour qu'elle ait la p... euh, pour qu'elle ne se blesse pas.

Par ailleurs, plusieurs études mettent en avant un lien entre autisme et dysphorie de genre (le fait de ne pas se sentir appartenir au genre qui nous a été assigné à la naissance par notre sexe biologique). Cela concernerait particulièrement les FtM (personnes nées femmes et devenues hommes). Sans aller jusqu'à "transitionner", bon nombre de femmes autistes se sentent en réalité non-binaires ou ont une faible identification de genre - ce qui est mon cas.

Enfant, je me voyais comme un garçon et je me faisais régulièrement passer pour tel. Malheureusement ça n'a pas duré, car à la puberté j'ai commencé à avoir un corps très féminin. Avec mes courbes très marquées, il était impossible que je puisse continuer à jouer sur l’ambiguïté. Après une adolescence chaotique où j'ai souffert de harcèlement notamment à cause de mes habits masculins, j'ai fini par apprendre à m'habiller en fille pour qu'on me foute la paix. Je le fais toujours régulièrement, quand je veux qu'on me respecte et que j'ai la flemme de défendre qui je suis, ou parfois pour des raisons professionnelles. Mais à chaque fois que je me regarde dans le miroir quand je suis particulièrement féminine, je ne me reconnais pas.

Ce sentiment de décalage a été exacerbé pour moi pendant ma grossesse, mon corps étant au paroxysme de sa féminité. Si je ne l'ai pas mal vécu (ce n'était finalement qu'une amplification d'un ressenti que je vivais déjà avant) ça a quand-même été une expérience vraiment très étrange - ce décalage permanent entre l'image qu'on a de soi, et le corps qu'on habite. Sans compter la solitude que peut engendrer le fait de ressentir quelque chose de difficile à partager avec d'autres femmes enceintes...

Une autre comorbidité très fréquente de l'autisme consiste à avoir des particularités sensorielles (hypo ou hypersensiblités). La plus connue : de nombreux autistes ne supportent pas le contact physique, surtout quand il est léger.

V. quand on lui frôle l'extérieur de la cuisse ou le haut du bras.

V. quand on lui frôle l'extérieur de la cuisse ou le haut du bras.

Ce n'est qu'un exemple facilement identifiable, mais les particularités sensorielles peuvent prendre des formes plus farfelues et donc d'autant plus difficiles à expliquer. 

Exemple personnel complètement absurde mais bien réel : la texture de la purée et celle de la banane me donnent des fourmis sur le visage.

Autant vous dire que tout cela ne rend pas aisé le rapport avec le personnel médical. Le toucher du médecin, les odeurs (parfums, produits chimiques), les sons, les lumières... tout cela peut poser problème dans le cas d'une auscultation, d'un examen ou d'un séjour à l'hôpital.

Et quand je dis "poser problème", je ne dis pas : "légèrement déranger". Je veux dire : devenir agressif ou mutique, partir en courant, éviter d'avoir un suivi. C'est la raison pour laquelle c'est handicapant.

Or, pour revenir à ce que je disais au début, en France il est vraiment difficile d'échapper à la (sur)médicalisation de la grossesse.

Le premier exemple qui me vient en tête, c'est les analyses médicales mensuelles. Ça peut peut-être sembler anecdotique mais pour moi ça a été un calvaire. Je n'ai pas peur des aiguilles ni de la douleur, le problème se place (comme toujours) dans les interactions sociales.

Je vis à la campagne : il n'y a pas tant de laboratoires d'analyses que cela. J'avais déjà eu une mauvaise expérience avec un des laboratoires les plus proches (mensonges assumés et violence lors d'un examen gynécologique) j'en ai donc tenté un autre, à 20 minutes en voiture de chez moi. La première fois ça s'est bien passé. La seconde fois, quand je suis entrée en disant "Bonjour" la personne à l'accueil ne m'a pas répondu. Elle a vaguement levé la tête, juste le temps de constater que j'étais là, puis est retournée à ce qu'elle faisait. Sans un mot, sans une explication. J'ai attendu vraiment longtemps comme ça dans le flou, complètement paniquée car je ne comprenais pas quelle était la marche à suivre. Je n'ai pas pu y retourner ensuite. Le mois suivant je suis donc allée dans un autre labo de la même chaîne mais pas dans la même ville (à 45 minutes de voiture cette fois). Quand je suis arrivée on m'a dit que l'examen était impossible car je n'étais pas à jeun. J'ai bien essayé de leur expliquer que jusque là ça n'avait pas posé de problème à leurs collègues, ils n'ont rien voulu entendre.

--> Et là encore, ce n'est pas "juste agaçant" pour moi... à chaque fois je ne comprends pas, je panique, je m'énerve, je pleure et je suis vidée de toute mon énergie pour la journée.

D'une manière générale, une de mes angoisses inhérente au rapport avec le milieu médical consiste en le fait que chaque médecin, chaque infirmier, chaque labo, chaque service hospitalier a un fonctionnement différent des autres, tout en faisant comme si c'était le seul fonctionnement possible. La plupart du temps, si j'ai le malheur de poser la moindre question sur la marche à suivre, on me répond avec mépris, comme si c'était évident et que j'étais stupide. Rien que d'y penser, ça me met dans une colère noire.

Mais c'est moi qui suis fautive : je suis autiste, j'ai un besoin d'explicite et de routine plus exacerbé que la moyenne.

Ou alors les gens sont pathologiquement incapable d'ouvrir leur esprit à d'autres fonctionnements que le leur ? Moi y compris ? On est tous foutus alors...?

Vertigineux.

Vertigineux.

Quand j'ai commencé à envisager de tomber enceinte, l'une de mes plus grandes peurs était de me retrouver dépossédée de mon corps et de mon pouvoir de décision.

Cette peur d'être dépossédée, elle est chez moi liée à deux choses : l'autisme, et le fait que j'ai été victime de violences sexuelles.

Les critères d'évaluation du diagnostic d'autisme consistent en deux grands pôles appelés "dyade autistique". Le premier est intitulé : "Déficits de la communication et des interactions sociales". Cela comprend, notamment, le fait de ne pas ou peu savoir décoder l'implicite et le non-verbal.

Or quand on passe sa vie à ne pas comprendre les codes sociaux et à ne pas savoir les anticiper, ça a une conséquence : on ne sait pas forcément ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, puisque ça ne suit aucune logique compréhensible pour nous. On sait juste qu'on est quasiment tout le temps à côté de la plaque, sans savoir pourquoi.

Dans une démarche d'adaptation, cela peut mener à s'en remettre perpétuellement au jugement d'autrui pour savoir ce qui est acceptable ou non.

Conséquence dramatique : 88% des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles.

Moi, j'ai cru pendant longtemps que c'était peut-être normal ce que j'avais vécu et que c'était juste moi qui n'était pas normale de l'avoir mal pris. C'était déjà le cas avec tellement de choses dans ma vie, je ne pouvais pas faire la différence.

Maintenant, ajoutez à cela la position d'autorité dans laquelle sont naturellement mis les professionnels médicaux, et vous comprendrez peut-être ma peur. Je me savais très peu capable de me défendre en cas de violences obstétricales. Et sans vouloir tomber dans la paranoïa, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que celles-ci diminuent.

Il est malheureusement très facile de faire peur à une future mère en brandissant le bien-être du bébé comme épouvantail dès qu'elle veut s'opposer au "tout-médical" pour choisir d'écouter son corps.

Il était impensable que je doive me battre pour choisir ma position d'accouchement, pour refuser la péridurale, une épisiotomie, des forceps, ou simplement me voir imposer des examens invasifs sans explications.

J'angoissais à l'idée que n'importe qui puisse débarquer pendant mon accouchement, connaissant mon besoin aigu d'intimité et de solitude.

J'envisageais avec énormément de difficulté l'idée de séjourner à l'hôpital pour les même raisons.

Et rien que les nombreuses visites de suivi, impliquant de devoir rencontrer des professionnels de santé tous les mois (plusieurs fois par mois même) et de communiquer avec eux, me faisaient frissonner d'avance.

Vous ai-je déjà parlé de mon amour des grands espaces vides sans interactions sociales ?

Vous ai-je déjà parlé de mon amour des grands espaces vides sans interactions sociales ?

Bon bon bon... pour celles qui à la lecture de cet article ont décidé de remettre leur projet bébé à dans quelques années, je tiens à dire que tout n'est pas perdu !

Une fois qu'on a bien pris conscience de nos difficultés et sensibilités, une fois qu'on est convaincues d'être légitimes à ressentir ce qu'on ressent, alors la partie peut être jouée.

Pour vous donner un petit tour d'horizon :

- Je n'ai pas consulté un.e seul.e gynécologue pendant toute ma grossesse

- Je n'ai pas eu de toucher vaginal avant les jours de mon accouchement (non non, il n'y a pas de faute d'accord...)

- J'ai été consultée à chaque étape de ma grossesse et de mon accouchement et j'ai été respectée dans mes choix

- J'ai accouché par voies basses, sans épisiotomie ni forceps ni ventouse, alors que compte-tenu de la longueur de l'accouchement cela se serait terminé en césarienne dans bien des services.

Comment ? Au préalable, en lisant énormément sur mes droits pendant la grossesse et l'accouchement. Ensuite, en sélectionnant avec extrêmement de soin l'endroit où j'ai effectué mon suivi et où j'ai accouché. Enfin, en parlant de mon potentiel autisme (je n'étais pas encore officiellement diagnostiquée à l'époque) avec les sage-femmes qui m'ont suivie et avec qui j'ai accouché.

Et cela a été salutaire.

J'ai été suivie dans le service "accouchement physiologique" d'une maternité. Cela voulait dire que si tout se passait bien, j'accoucherais dans une salle non médicalisée avec un grand respect de mon intimité, et que je pourrais partir quelques heures après la naissance si je le souhaitais. J'ai quand-même visité la maternité "normale" à laquelle nous étions rattachés, au cas où un problème surviendrait. L'horreur : du passage dans tous les sens, des chambres parfois doubles, des jeunes parents recevant une dizaine de personnes en laissant les portes ouvertes (donc impossible d'éviter l'envahissement sonore dans les chambres voisines, même porte fermée avec boules quiès, croyez-moi j'ai essayé) ...

A la fin de la visite j'ai fait une énorme crise d'angoisse dans le bureau de la sage-femme.

A la naissance de B., il a fallu qu'on reste une nuit à la maternité pour vérifier que tout allait bien pour lui car le travail avait été très long. La sage-femme qui me suivait a fait en sorte que je sois installée dans une chambre individuelle, avec mon mari et mon bébé, à l'écart des autres, et le personnel médical était au courant de mon potentiel autisme ce qui fait que mon besoin d'intimité a été en grande partie respecté.

Enfin, on ne nous a pas fait de difficultés pour nous laisser quitter la maternité au bout de 24 heures - légalement c'est un droit, mais beaucoup de maternités ne le respectent pas.

Pour conclure, je dirais qu'il est vraiment indispensable d'une part d'être au clair sur son rapport au corps, aux médecins et à ses propres particularités (autisme mais également vécu traumatique, hypersensibilités sensorielles...) et d'autre part de se renseigner.

Trois petits liens parmi tant d'autres :

La Naissance en BD, de Lucile Gomez

Chaîne Youtube d'Aurélie Surmely,  sage-femme

Ce que j'aurais aimé faire...

 (Crédit photo chat : Helmut Stirnweis)

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C
Encore un très bel article.. Lu jusqu'au bout avec toujours le même intérêt et les émotions qu'il engendre
Répondre
M
J'ai eu des difficultés à l'écrire, celui-là, mais il me semble que ce sont des sujets importants.