Neurodiverse Rhapsody

Publié le par Mamasperger

Neurodiverse Rhapsody

Une fois n'est pas coutume, j'ai beaucoup de mal à commencer cet article. Plus précisément, je peine à organiser mes idées et à les hiérarchiser. Cela n'a jamais été facile pour moi mais d'ordinaire j'arrive à juguler un minimum les idées qui partent dans tous les sens, tout le temps, très vite et simultanément...

Mais là, non, décidément, la tâche est plus ardue qu'à l'accoutumée. (Notons au passage que si j'écris "La tâche est plus ardue qu'à l'accoutumée" plutôt que "c'est plus dur que d'hab" c'est aussi une technique pour calmer l'éparpillement mental.)

 Je n'ai même pas encore de titre pour cet article, c'est dire à quel point je ne suis pas tout à fait sûre de savoir où cela va nous mener.

"Oui bon d'accord tout ça c'est bien beau mais tu pourrais arrêter de nous prendre en otage avec tes atermoiements ?"

Il faut dire que tout me semble à la fois très important, hautement développable et néanmoins intrinsèquement lié. Et j'aimerais insister sur les connexions entre les différents points, mais j'ai peur qu'en ne prenant pas le temps de les définir je ne vais pas pouvoir clairement me faire comprendre.

"Mmmh... en clair, tu décris une problématique sous-jacente à n'importe quel discours articulé - rien de bien original, quoi..."

Oui non mais non mais là c'est différent ! Arrgghhlll... Laissez-moi vous expliquer !

"C'est l'idée, oui..."

Chut.

Neurodiverse Rhapsody

bonbonbonbondoncdoncdoncdoncdoncalorsdoncouidoncalorsvoilà...

Commençons par l'élément déclencheur, qui m'a lancée sur ce sujet. 

Je vous préviens ça n'a rien d'original, c'est encore une péripétie médicale ordinaire... Mais je vous jure que ça va plus loin que ça.

Il y a quelques temps j'ai du aller chez la dentiste. Jusqu'ici je n'y allais jamais, je n'avais jamais eu de carie ni de douleurs, je ne me brossais les dents qu'occasionnellement, tout allait bien dans le meilleur des mondes.

La dentiste m'indique où m'installer, me dit d'ouvrir la bouche, moi j'ai déjà envie de demander "Mais on fait quoi là ? Vous m'auscultez, juste ? Ou vous allez faire autre chose direct si vous trouvez un problème ?" Elle me voit pas très à l'aise, me rassure mais sans m'expliquer grand chose. Elle finit par me dire que j'ai une carie, et qu'on va rien faire de plus aujourd'hui.

Panique à bord. "Carie, carie, attends il est passé où le fichier ? Cariatides, Caribou... Ah, voilà : Carie. Problème dentaire - aucune image associée. Selon les gens : fait mal, fait peur, très désagréable à soigner. Indispensable à soigner car ne part pas tout seul. Soigner une carie : pas d'image associée."

Pendant ce temps la dentiste me demande si je souhaite soigner la carie. Je suis perplexe ("ne part pas tout seul"). Je dis : "Ben j'ai pas vraiment le choix, non ? "Ah ben c'est sûr que ça se soignera pas tout seul, mais je vous demande, c'est tout."

Bon. Je bafouille que oui, je veux bien soigner la carie, alors elle m'emmène vers son bureau pour fixer un RDV. J'essaie de reprendre mes esprits ("ne pars pas tout seul") et je re-demande : "Y a autre chose que je peux faire en attendant ?" Elle me dis nonchalamment tout en regardant son agenda que je peux me brosser les dents le soir avec tel dentifrice. "C'est tout ?" "Oh vous savez, vu d'où vous partez ce sera déjà mieux que rien, pas la peine de se mettre des objectifs intenables." (Euh, mais, euh, si peu d'exigence c'est de la bienveillance ou de l'indifférence ? "Fichier : introuvable.") 

Je suis de plus en plus perplexe-paniquée ("Soigner une carie : pas d'image associée. Pas d'image associée. Pas d'image associée.") Je lui demande : "Mais vous allez faire quoi exactement ?" Réponse absente en tournant les pages de son agenda : "Je vais soigner la carie." Moi : "Mais ça consiste en quoi exactement ?" Là elle lève quand-même la tête, interloquée, et me dit : "Ben... je vais soigner la carie, quoi. Et comme la vôtre est entre deux dents je vais ouvrir, regarder, nettoyer, et voir si je dois dévitaliser."

Panique ter. ("Nettoyer + carie : pas d'image associée. Dévitaliser : couleur vives, rose et jaune. Pas d'image associée.") Pendant ce temps elle me donne une date, je note dans mon agenda en mode automatique à cause de ma litanie intérieure. J'essaie de rassembler mes esprits, je dis : "Ben mais euh, alors en fait je suis autiste... je vais probablement avoir besoin que mon conjoint soit présent." Elle fait mine de dire non, se ravise : "Vous savez, j'ai déjà soigné des personnes handicapées avec qui ça se passe mieux qu'avec des personnes valides. C'est avant tout une question de confiance."

Bon, là je commence à avoir les larmes aux yeux alors je sors de son bureau, je range mes affaires tout en essayant de dire : "Mais non mais c'est pas..." Je réalise que j'ai pas payé, j'essuie mes débuts de larmes, je retourne dans son bureau et je sors mon chéquier. Ecrire me calme (comme toujours). En finissant le chèque je lui dis : "Vous savez ça n'a rien à voir avec vous ou avec une quelconque confiance en vous, c'est juste que... c'est un handicap, quoi." Elle : "Vous savez y a pas besoin d'être autiste pour craindre le dentiste, et à l'inverse des autistes le vivent très bien."

Mais putaaaaaain...

Mais putaaaaaain...

Je sors de son bureau en pataugeant dans mon incompréhension de sa réaction. Au moment de se dire au revoir elle me dit tout gentiment : "Bon, vous avez un mois devant vous. Préparez-vous, hein, mais n'en faîtes pas une obsession non plus ! Hi hi, facile à dire, hein ?" Moi (à ce stade-là j'aurais dû laisser tomber mais c'est plus fort que moi) : "Euh oui, facile à dire, notamment à quelqu'un d'autiste." Elle : "Oh la la vous savez pas besoin d'être autiste pour se prendre la tête, hu hu." Je balbutie d'une toute petite voix dans les larmes qui montent : "Non mais... laissez-tomber. Merci. Au revoir."

Retour de voiture à gros sanglots et journée à suivre vide d'énergie. Le seul point positif c'est que comme l'épisode kiné avait eu lieu la semaine précédente, j'ai pas eu besoin de réfléchir trop longtemps avant de me dire que je n'allais pas y retourner. Le soir-même A. a appelé un autre cabinet dentaire en leur spécifiant bien que dû à mon handicap je pourrais avoir besoin de la présence d'un accompagnant, présence à laquelle, accessoirement, le diagnostic officiel me donne DROIT.

Ce détail est intéressant car il me permet de faire une transition avec la suite (eeeeeh mais attendez, ça y est j'arrive à organiser mes idées ???) dans la mesure où le problème avec cette dentiste bienveillante, c'est son effroyable VALIDISME ordinaire.

Oui, en tant que personne handicapée j'ai des droits - droits que je ne fais d'ailleurs jamais valoir parce que je me sens absolument indigne de les demander (bien que la psychiatre passe du temps à m'assurer que si...) Je me dis qu'il y a pire (ce qui est vrai, évidemment) et comme la dentiste l'a si bien souligné à de multiples reprises, "Pas besoin d'être autiste pour ressentir ce que vous ressentez."

C'est cette dernière phrase qui pose le plus de problème, alors attardons-nous un instant dessus. ("Un instant seulement, t'es sûre ?")

Ce qui est terrible c'est que cette phrase part d'un bon sentiment. Je ne connaissais pas cette dentiste mais je vous assure qu'elle était assez bienveillante. Je le sais parce que "Vous savez, pas besoin d'être autiste pour... [insérer ici la difficulté ou souffrance mentionnée]." je l'entends et le lis aussi régulièrement de gens qui me connaissent : "Tu sais, je ne suis pas autiste mais moi aussi je... [insérer ici la difficulté ou souffrance mentionnée]."

Je crois comprendre que c'est pour me rassurer, pour me dire qu'on me comprend, que je ne suis pas seule. Et je dois dire que sincèrement, oui ça me fait du bien de savoir que je suis entendue, comprise, acceptée, voire que je ne suis pas seule à vivre telle ou telle difficulté.

Cela étant... quand je lis cette phrase, c'est toujours à double tranchant car je me sens aussi potentiellement niée dans ma difficulté. Prenons le cas de la dentiste : elle se voulait rassurante mais tout ce qu'elle a dit a eu l'effet inverse. Elle a tragiquement mal interprété mes phrases et mal jugé qui j'étais, par méconnaissance et par validisme inconscient de sa part, et parce que de mon côté je n'avais pas les bons outils pour me faire comprendre.

Je peux passer un temps pour quelqu'un d'à peu près normal, parce qu'on m'a inculqué ça à coup de violences éducatives (j'y reviendrai), parce que j'ai quelques outils pour donner le change, et parce que j'ai appris à retourner vers moi la violence que ça me fait avant de la tourner vers les autres. (Mais ne nous y trompons pas : la violence finit quand-même par se retourner vers l'extérieur.)

Donc quand cette dentiste me voit, elle pense sûrement (consciemment ou pas) que j'exagère. Parce que je rentre dans sa case de "normalité" - je ne suis pas habillée trop bizarrement, je ne me balance pas ni ne chantonne pas seule, j'arrive à peu près à parler...

C'est donc d'autant plus difficile de lui faire comprendre que malgré ces apparences enchanteresses (ha ha ha) en dessous, c'est LE BORDEL. Qu'avec l'incompréhension ou les sur-sollicitations sensorielles je suis capable de partir en courant, en hurlant et en renversant tout sur mon passage. Ou bien que je ne reviendrai tout simplement pas, quitte à rester malade, si je ne sais pas exactement ce qu'on va me faire. Que NON, PUTAIN, c'est pas "se prendre la tête" que de se renseigner minutieusement sur chaque micro-détail de la procédure !!! Et que OUI, au contraire, me préparer ça signifie TOUT PRECISEMENT en faire une obsession ! Parce que c'est un PUTAIN de fonctionnement neurologique, CONNA...

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Ce que je veux dire, c'est que cette phrase-là, "Pas besoin d'être autiste pour..." ou "Je suis pas autiste mais moi aussi je..." tout en étant tout à fait emprunte de bonne intention, elle est tristement validiste. C'est comme dire à quelqu'un d'asthmatique : "Ah mais tu sais, je suis pas asthmatique mais moi aussi je suis SUPER ESSOUFFLEE quand je monte les escaliers !" --> Je te comprends, donc... Oui, mais non.

Le validisme, c'est quelque chose d'insidieux, personne n'est à l'abri, je ne m'en exclus pas, au contraire. Par exemple, je ne sais pas vous, mais moi j'ai appris il y a assez peu de temps que la majorité des personnes utilisant un fauteuil roulant ont en réalité la capacité de marcher. Un peu. Parfois. Pas tous les jours. Au prix d'énormes souffrances... Les besoins d'accommodations, c'est pas noir ou blanc. Mais dans ma tête, fauteuil = jambes HS, du coup avant de savoir j'aurais probablement regardé d'un œil dubitatif (au mieux) quelqu'un qui alterne les deux.

Et sans aller jusque là... Le validisme c'est mon amie S. qui s'est vu refuser la place de parking handicapé de son lieu de travail parce qu'elle n'utilise pas de fauteuil roulant. Elle a pourtant une reconnaissance de son besoin par la MDPH, reconnaissance qui s'appuie sur des diagnostics. Mais notre directrice avait le manque d'humilité de croire qu'elle pouvait en juger par elle-même, sans connaître les détails. Est-ce à mon amie de devoir, en permanence, raconter sa vie à tout un chacun pour convaincre de son handicap ? Je ne pense pas.

Mais le problème, c'est qu'on visualise la handicap comme une donnée binaire - soit tu peux, soit tu peux pas. C'est tellement ancré dans nos têtes que même quand on est soi-même reconnu comme ayant un handicap, on peut être amené à en douter : "Allez, tu y arrivais l'autre jour, y a pas de raison qu'aujourd'hui tu puisses pas. Bouge-toi, feignasse." C'est la violence qu'on imprime sur nous-même quotidiennement.

Sauf qu'en fait, parfois le handicap c'est aussi le degré de difficulté qu'une action va demander.

Ce n'est pas parce que je peux parfois aller faire les courses toute seule que c'est toujours possible. Souvent, je n'y arrive pas. Parfois, je me force, ça se passe très mal, une micro-interaction avec une caissière me prive de la capacité de faire quoi que ce soit pour le reste de la journée. Plus jeune, j'y arrivais un peu plus souvent... Mais en fait si j'avais très souvent des accès de violence dans les magasins, c'est juste que je m'en remettais plus vite. Et la plupart du temps je mettais déjà en place des adaptations inconscientes, comme aller faire des courses hors de prix à la supérette à 22h parce qu'il y a moins de monde.

Ce n'est pas parce que parfois j'arrive à faire du "small talk" que j'y arrive tous les jours et que ça ne me coûte pas souvent TOUTE MA PUTAIN D'ENERGIE. Ou tout simplement, TOUTE MA CONCENTRATION. Cela m'a déjà à maintes reprises porté préjudice dans mon travail, et ça peut avoir des conséquences plus graves comme me mettre en danger dans la rue ou bien oublier tout simplement l'existence de mon fils à cause de ça, et le mettre potentiellement en danger.

"Oh, tu sais, moi je suis pas autiste mais ça m'est déjà arrivé aussi d'oublier mon fils..." Ok. Mais est-ce que ça t'est déjà arrivé de l'oublier, non pas parce que tu étais particulièrement stressé ou épuisé, mais dans une journée normale ou tout allait bien, simplement parce qu'il fallait parler de la pluie et du beau temps avec des gens bienveillants ?

Si je transpose ça à mon ami asthmatique imaginaire : "Oh tu sais moi aussi je suis essoufflée" Ok. mais est-ce que ça t'arrive d'être essoufflée et de t'étouffer, non pas parce que tu as monté 8 étages à pied après avoir fumé trois clopes, mais au repos en ne faisant aucun effort physique ?

Le validisme, c'est notre manière de mesurer ce que les autres vivent à l'aune de ce qu'on ressent, consciemment ou pas.

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Je m'éparpille à nouveau. Revenons à un fait : le diagnostic officiel d'autisme s'accompagne d'un niveau qui va de léger à sévère, et qui est déterminé par le degré de soutien dont la personne a besoin.

Ca a du sens me direz-vous : moi j'ai le permis de conduire, un métier (à peu près), un enfant, un mari, bon qu'est-ce qu'elle vient nous faire ch... à utiliser le même mot que cet adulte qui aura toute sa vie besoin que quelqu'un l'accompagne pour faire sa toilette.

Sauf que ce n'est pas si simple. Les cases ne sont pas si définies que ça. Si on aborde la propreté par exemple... 

Adolescente, il m'est déjà arrivé de changer ma serviette hygiénique devant tout le monde dans un dortoir.

Je ne fais pas le ménage du sol. Je veux dire, pas DU TOUT. Eventuellement quand ça s'amoncelle trop je ramasse à la main les moutons et saletés par terre, ou je nettoie une tâche ou deux à l'éponge. Parce que le balais c'est beaucoup plus compliqué pour moi. Parce que l'aspirateur c'est quasiment impossible. Parce que laver le sol c'est carrément de la science-fiction. Ce n'est pas de la fainéantise, c'est un problème de fonctions exécutives. Dans mon cerveau la tâche est incompréhensible. Il faudrait que je me fasse des affichettes avec une subdivision très précise de ce qu'il faut faire (et pour le lavage du sol ça engendre trop de questions et ça m'angoisse - est-ce que le sol est vraiment propre si on le lave avec une eau qui au bout de 2 passages de serpillère est déjà noire ? Par quel bout il faut commencer pour ne pas se retrouver coincé en attendant que ça sèche ? A quel point il faut être précis sur chaque millimètre de sol ? C'est important que l'eau soit chaude et si oui à quelle température ? Sur quel espace je peux passer la serpillère avant de devoir la remettre dans le seau pour la rincer ? Etc etc etc...)

Depuis que je vis avec A., le sol chez moi est propre parce qu'il s'en occupe. Je ne vois pas tellement la différence mais ça a l'air de lui faire plaisir.

Je mange n'importe quoi, trop ou pas du tout. Je me mets en danger régulièrement parce que j'oublie dans quel ordre on doit faire des tâches simples (du coup je me brûle, je me cogne, je me blesse, je me coupe, parfois assez gravement.)

J'ai la chance d'adorer l'eau alors je me lave tous les jours.

Par contre, je me lavais les dents une fois par semaine maximum avant cette histoire de carie. (Et subitement je suis passée frénétiquement à trois fois par jour : parce que oui, on peut passer de rien à tout, oui j'en fais une obsession et pour rappel l'hyperfocalisation c'est un fonctionnement neurologique, pas une mauvaise chose. La preuve, je me lave les dents !)

Youpiii

Youpiii

Comme j'arrêtais pas de lui dire que "moi ça va, y a pire" la psychiatre m'a fait remarquer à quel point "ça va" parce que j'ai mis en place tout un tas de stratégies d'adaptation. Je vis perdue en pleine campagne (et je travaille et dors quand-même avec des boules quiès). Je donne quelques heures de cours par semaine et je survis aux interactions que ça suppose parce que la musique est mon intérêt spécifique - ça veut dire qu'à la fois ça m'épuise d'être en interaction et en même temps ça me recharge de parler de musique ou de jouer. Les deux fois où j'ai essayé d'être à temps plein, je suis tombée en burn-out et j'ai mis des mois à m'en remettre ne serait-ce que physiquement.

Quand je suis en répète, j'ai besoin de distance et je pète un câble quand c'est pas le cas - mais la plupart du temps je me débrouille pour induire cette distance. (Je déplace les pupitres quand les autres sont en pause, je mets ma bouteille d'eau et mon sac de sorte qu'inconsciemment mon voisin ne va pas dépasser une certaine limite, je recule ma chaise, je m'étire très largement... Ou bien je vais argumenter sur la disposition des musiciens en rapport avec la qualité de son et d'écoute du groupe, alors qu'en réalité c'est pour être sûre d'avoir mon espace vital...)

Vivre à la campagne me permets de pouvoir vivre avec peu d'argent. Travailler un peu me permet d'avoir droit à des aides pour la garde de mon fils, mais une bonne partie de son temps de garde est dédié à mon repos ou mon temps d'écriture (qui me ressource et me recharge), sans quoi je ne m'en sortirais tout simplement pas.

Comme je l'ai déjà mentionné à de nombreuses reprises, j'ai un conjoint qui fait l'interface humaine dans plein de domaines.

J'oublie très certainement un paquet d'adaptations... mais en gros : je ne fais pas grand chose, je ne vois pas grand monde, et malgré tout, je suis déjà très très souvent en meltdown (accès de colères violentes internes ou externes) ou en shutdown (fermeture, épuisement, annulation).

Neurodiverse Rhapsody

Quand je me relis, je m'agace. J'ai l'impression de passer mon temps à me plaindre et à dire "regardez comme c'est difficile pour moi !" Soyons clairs, je suis tout à fait consciente que j'ai moins de difficultés que d'autres. Et surtout, l'autisme ce n'est pas uniquement des difficultés ! (J'y reviendrai.)

Ce que je veux dire simplement c'est que les cases ne sont pas si simples que ça. Parfois je suis "autiste légère", mais parfois j'ai vraiment besoin d'aide et je ne suis pas aussi fonctionnelle que j'en ai l'air.

Et surtout, à l'inverse, les autistes étiquetés "sévères" sont souvent très malheureusement considérés comme bons à rien et idiots. Or là non plus ce n'est pas si simple. Il y a toute une nuance entre "verbal" et "non-verbal". Il y a des degrés de dyspraxie. Et même quelqu'un qui a besoin d'accompagnement pour aller aux toilettes, se balance, ne parle jamais, peut en fait être très intéressant et intelligent, écrire des choses puissantes et magnifiques. Nous surprendre, de plein de manières.

Cet article, à la base, devait parler de HPI (nb : Haut Potentiel Intellectuel). Je voulais expliquer une bonne fois pour toutes pourquoi j'avais mis ça en en-tête du blog... A la place, au fil de mes tentatives de rédaction, j'ai fini par changer l'en-tête du blog.

Quel rapport ? J'ai longtemps considéré que je compensais mes difficultés autistiques avec "mon HPI", et qu'à l'inverse, mon autisme expliquait mon Q.I. très hétérogène. Pour la faire courte, d'après mes tests de Q.I. j'ai notamment une vitesse de traitement supérieure à 99% de la population. Cette vitesse fait que je peux faire défiler très rapidement toutes les situations sociales et les comparer pour choisir ce qui semble le plus approprié pour "passer", "avoir l'air normal". Je fais toujours des bourdes mais à chaque fois qu'on me dit : "Mais non ça va pas la tête de dire ça !" je le note pour m'en resservir plus tard. (En passant sur le fait qu'on attend de moi que je le sache alors que c'est écrit nulle part. Groumpf.)

Règles sociales que suivent les NT (neuro-typiques) / règles sociales qu'ils reconnaissent exister ou peuvent expliquer.

Règles sociales que suivent les NT (neuro-typiques) / règles sociales qu'ils reconnaissent exister ou peuvent expliquer.

Le HPI est (supposément) également ce qui fait que j'arrive à envisager simultanément les situations sous une multitude d'aspects différents, ce qui me permet de m'adapter beaucoup plus qu'un "autiste ordinaire". (Est-ce qu'on est sûr de ça ?)

Pire (dans l'idée qu'on se fait du HPI), c'est ça qui serait responsable de ma capacité d'empathie (parce que c'est bien connu, les autistes sans HPI ne sont pas capables d'empathie... 🙄😒).

Mais plus ça va, plus je me dissocie de cette étiquette. Bon, ça fait longtemps qu'il est clair pour moi que les tests de Q.I. ne mesurent pas l'intelligence, mais j'ai toujours considéré qu'ils mesuraient quelque chose - et d'une certaine manière, je pense toujours que c'est le cas. C'est juste que plus je découvre la neurodiversité, plus je réalise à quel point ce que les tests mesurent est relatif et réduit. Ne serait-ce que par leur aspect validiste encore une fois... 

En effet, pour passer ces tests il faut être voyant, entendant, et verbal. Une personne dyspraxique aura sûrement du mal à performer dans l'exercice des cubes, une personne dyscalculique va galérer pour l'exercice de calcul mental qui détermine... la mémoire de travail 🤨

Moi-même j'ai sous-performé à cet exercice. Je ne suis pas dyscalculique mais ma synesthésie chiffres --> couleurs fait que si je n'écris pas les chiffres noir sur blanc je vois juste de gros pâtés de couleurs. Or on ne peut pas vraiment dire que j'aie une mauvaise mémoire... 😉

Par ailleurs le calcul du Q.I. total se fait en grande partie sur les compétences verbales. Or plus je lis et découvre les travaux des autistes non-verbaux, plus je prends conscience du caractère limité de cette définition. Je vous renvoie à cette vidéo de Mel Baggs qui en parle mille fois mieux que je ne pourrai jamais l'exprimer.

Si c'est difficile à regarder pour vous, allez à 3mn13 pour l'explication.

Quand je vois cette vidéo j'ai une énorme envie de célébrer la neurodiversité, j'ai envie de crier à quel point je la trouve belle et précieuse !

Ce rapport sensoriel au monde extérieur et aux objets me parle énormément, autant que ça me dérange à regarder parce que j'ai l'impression de voir quelque chose d'extrêmement intime - comme si je voyais un couple s'embrasser. Moi, j'ai borné tout ça dans des activités acceptables, parce que quand je mangeais mon classeur ou que je caressais affectueusement mon poste radio, quand je mentionnais mes objets comme des amis, je me suis fait moquer voire engueuler. J'ai intériorisé qu'il ne fallait pas exprimer ce langage si on voulait être accepté. J'ai pris l'habitude de le réprimer, au prix de souffrances.

Là j'arrive sur un point particulièrement délicat du sujet : les violences éducatives ordinaires. J'en ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog parce que ça m'importe tout particulièrement, et c'est tout à fait le type de sujet dont on peut dire que ça ne concerne pas seulement l'autisme ou la neurodiversité.

Il y aurait là (comme pour le validisme, le HPI, les degrés d'autisme etc...) matière à développer et définir pendant plusieurs articles mais je veux surtout vous parler du lien avec ce dont j'ai parlé précédemment.

Les VEO auxquelles on pense facilement c'est la fessée, les claques, les châtiments corporels qui sont, depuis peu en France, illégaux. Pas trop tôt, même si ça règle pas le problème. C'est plus complexe que ça.

Si, quand mon fils pleure, râle ou crie parce qu'il ne veut pas partager ses jouets, je le force à le faire en haussant la voix, en lui disant qu'il est méchant et que d'abord ça suffit la comédie, c'est une VEO.

"Ah ouiiiii bien sûr alors on laisse tout faire hein ! Génération d'enfants-roi gnagnagna respect, valeur du partage blabla !"

Non, et chut.

Je ne laisse pas mon fils faire ce qu'il veut tout le temps. Mais jamais je ne vais l'humilier à cause de ses émotions ou les invalider. Si c'est dur pour lui de partager mais qu'il y a un copain à la maison, on va peut-être devoir quand-même partager. Mais on va d'abord accueillir, nommer l'émotion. Je vais commencer par lui donner de l'empathie, dire que oui je vois que c'est dur pour lui de partager, que ça lui fait quelque chose de désagréable, je vais peut-être lui faire un câlin, accueillir ses pleurs, l'aider à se calmer. Et seulement ensuite expliquer pourquoi on va quand-même partager, pourquoi je trouve ça important de le faire. Voir comment on peut trouver quelque chose qui prenne en compte les émotions de tous.

Mais humilier un enfant sur un débordement émotionnel dont il ne sait déjà pas trop quoi faire, c'est lui apprendre que certaines émotions sont valables et d'autres pas. En gros, il est déjà en train de vivre quelque chose de désagréable, je vais pas en plus lui dire qu'il devrait avoir honte de ressentir ce qu'il ressent ! Parce que ça équivaudrait à lui dire qu'il devrait avoir honte de qui il est, en fait...

"C'est bien beau ton truc mais ça marche pas toujours !"

Ca dépend de ce qu'on appelle "marcher". Effectivement, la peur, l'humiliation et/ou les châtiments corporels sont efficaces ! En surface en tout cas... on n'observera plus le comportement problématique. Mais les répercussions psychologiques et neurologiques sont maintenant scientifiquement prouvées.

Pour moi, "marcher" c'est d'abord amener mon fils à exprimer plus clairement ses émotions. Et je constate de jour en jour que plus il le fait, mieux il accepte aussi les situations où "c'est obligé" tout en ne niant pas ses propres émotions.

Certaines approches de l'autisme sont un peu similaires, parce qu'elles découlent directement de notre société qui baigne dans les VEO. On considère que "stimmer" ("self-stimulation", toutes les stimulations sensorielles répétitives) c'est mal - alors qu'en fait c'est surtout que le voir nous dérange. On considère qu'un enfant qui se balance ou a besoin de courir en tous sens n'est pas capable de se concentrer - que la concentration, c'est rester assis sur une chaise sans bouger. Alors qu'en fait, quand on a un déficit de l'attention et/ou qu'on est autiste, ces mouvements nous aident JUSTEMENT à nous concentrer !

Or certaines thérapies envers les enfants autistes vont en partie justement chercher à juguler les stims, les arrêter, que ce soit à base de punitions ou de récompenses (ce qui revient au même). Forcer l'enfant à regarder dans les yeux (en quoi cela serait-il indispensable ?), faire la bise ou accepter les câlins (pour le confort émotionnel des adultes...) ?

Cette vidéo en parle très bien.

Les excellents Alistair et dcaius

 

Induire tout un tas de comportements socialement acceptables et gommer ceux qui ne le sont pas, ça peut sembler positif - surtout si on s'inquiète pour l'avenir de son enfant. Mais si cela est fait mécaniquement, comme un dressage, sans chercher à savoir pourquoi ces comportements sont là (comme chez Mel Baggs et son langage) quel sens ils ont, ce qu'ils nourrissent, sans chercher comment on peut les rediriger en prenant en compte les besoins et les émotions de l'enfant... Cela peut être très délétère, comme en témoignent de nombreux adultes autistes tant "légers" que "sévères".

En gros, c'est dire à un enfant (puis un adulte) qu'une part de lui est non-acceptable, le forcer à entrer dans une "normalité" extrêmement violente parce qu'on pense que c'est mieux pour lui.

Comme pour mon fils qui va quand-même devoir partager, j'entends tout à fait qu'il soit nécessaire d'amener l'enfant autiste à rediriger certains comportements et à ajouter artificiellement à son panel certains autres. Mais non pas parce que "c'est bien" ou "c'est pas bien", non pas à force de dressage, comme nous l'avons été nous-même enfants pour tous les sujets.

("Il faut bien travailler à l'école pour réussir" --> Ah bon, vous êtes sûrs ?  "Quand on veut on peut" --> euh, non, pas toujours... "Il ne faut pas se reposer sur ses lauriers" --> ben si, au contraire, c'est plutôt bien de s'appuyer sur ses points forts pour construire la confiance en soi... "Arrête tes caprices" --> bon donc quand je suis triste, en colère ou apeuré, je retournerai tout ça vers l'intérieur, quitte à avoir des comportements auto-destructeurs, addictifs ou devenir proprement incapable de savoir ce que je ressens...)

Accueillir les émotions, chercher à comprendre pourquoi quelqu'un agit comme il le fait plutôt que de calquer ce qu'on pense être "juste et bon" (et OUI c'est possible également si la personne n'est pas ou peu verbale... Là je parle d'expérience d'adulte enseignante) cela permet d'offrir à l'enfant des possibilités et un choix.

Accepter que, peut-être, il fera toujours du "flapping" (battre des bras) et que si ça l'empêche d'entrer en école de commerce, c'est peut-être pas si grave. Accepter qu'il aura peut-être toujours besoin d'une certaine aide pour des choses "anodines". On peut peut-être trouver des contextes et des milieux sociaux, dans lesquels ce ne sera pas si problématique. Ca peut même permettre de faire un tri salutaire, qui sait...

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Pour conclure

Je ne suis pas sûre de pouvoir conclure tant un sujet en amène un autre - d'où le titre de cet article d'ailleurs 😉

Je sais bien que certaines de mes difficultés exposées dans ce blog seront partagées par d'autres parents/personnes allistes (non-autistes), de la même manière qu'on peut avoir certains traits autistiques sans être autiste. Un burn-out parental, une dépression post-partum, un TDA/H, un SSPT, une dépression tout court, un trouble du traitement sensoriel, etc etc etc... peuvent amener des personnes très différentes à expérimenter des difficultés communes.

Je sais bien, également, que mes difficultés sont relatives et qu'il y a pire.

Et en fait, peu importe. Quand c'est mon autisme qui parle, ça ne me rassure pas spécialement qu'on me dise "Tu sais les non-autistes aussi..." parce que je ne suis pas inquiète d'être autiste, en fait ! 😉 C'est juste comme ça que mon cerveau est branché. J'ai surtout besoin d'être écoutée. Comme tout le monde !

Alors non, je ne crois plus que mon HPI "tempère" ou "masque" mon autisme. Je ne crois d'ailleurs pas que je sois autiste "léger" "Asperger", "HPI", mais plutôt neurodivergente. Certains traits de cette neurodivergence sont perçus comme positifs (l'hypermnésie, la vitesse de traitement, certains aspects de l'hypersensorialité) alors que d'autres sont perçus comme négatifs (les dysfonctions exécutives, le mutisme sélectif, l'hyperfocalisation, certains autres aspects de l'hypersensorialité...) en fonction de la situation sociale, des personnes avec qui je suis, de l'intensité avec laquelle ça s'exprime, du sujet sur lequel ça se tourne...

Mais en réalité, il serait appréciable qu'on se foute un peu la paix. Ca veut dire notamment croire quelqu'un quand il nous dit qu'il a une difficulté, sans chercher à rassurer ou minimiser. Cela signifie également arrêter d'appeler "caprice", "obsession", "prise de tête", "exagération" ou "émotivité" ce que les autres vivent à des degrés différents de nous.

Pour ma part, j'espère vivement qu'un jour je serai à même de "stimmer" quand j'en ai envie sans me sentir mal. J'espère un jour réussir à célébrer pleinement et entièrement cette neurodiversité qui fait que si je ne suis pas tellement capable d'aller faire les courses, je peux en revanche faire du bien en exprimant des idées ou des émotions avec mes mots et ma musique. Et je me dis que l'un n'est pas plus important que l'autre.

Neurodiverse Rhapsody

Crédits photos Pixabay

  • "Galaxy" par spirit111
  • "Boy" by Александра Туркина
  • "Depression" by Małgorzata Tomczak
  • "Yoga" by Shahariar Lenin
  • "Heart" by Ben Kerckx

Publié dans L'autisme au quotidien

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