Validisme et "croyances limitantes"
Aujourd'hui je voudrais parler de validisme (nb : discrimination, préjugés, oppressions envers les personnes handicapées) et plus spécifiquement de celui qui s'exprime dans la notion de "croyances limitantes".
Il y a quelques personnes qui tiennent ouvertement des discours validistes assumés, rudes et sans aucune empathie. Ceux qui croient réellement que c'est "naturel" que les plus forts s'en sortent et que les plus faibles souffrent et meurent. C'est un discours logique dans une société régie par la compétition, et il n'est pas surprenant qu'on se réfugie là-dedans quand on a la chance d'être du bon côté, ou quand on a envie d'y être - ça a des relents de syndrome de Stockholm mais c'est de la survie - "If you can't beat them join them".
Quand il s'agit d'un handicap invisible, la version de ce discours pourra aussi être : "Tu dis ça pour attirer l'attention sur toi." Le fameux : "De nos jours on ne dit plus que les enfants sont mal élevés, on dit qu'ils sont autistes ou hyperactifs". (Aaaaarghl... j'aborderai l'aspect hautement problématique de cette phrase le jour où elle cessera de provoquer en moi des envies profondes de tout casser...)
La version "bienveillante" de ce validisme c'est quand on te dit "mais non tu n'es pas handicapé" "Moi aussi parfois ça m'arrive" supposément pour te rassurer mais qui ce faisant nie ton expérience, tes difficultés par ignorance de leur nature et leur degré (involontairement donc, mais malheureusement le résultat est le même).
Mais ce que je veux développer ici c'est cette autre manière d'être involontairement validiste à travers ce type de discours : "Quand tu te dis handicapé, tu entretiens une croyance limitante. Travaille sur cette croyance, change ton discours et tes difficultés changeront".
Je ne sais pas si vous entrevoyez la profonde violence qui sous-tend ce discours. Pour y voir plus clair, remplaçons "handicapé" par "en souffrance".
Je vois deux aspects hautement problématiques :
1. Il s'agit encore une fois de nier l'expérience de l'autre. Appelez ça "croyances limitantes", "mental", "inconscient"... Dans tous les cas il s'agit de mettre en place une grille de lecture qui repose sur l'idée que ton discours, ton ressenti est faux malgré toi et qu'une technique va t'aider à changer ça. "T'as mal ? Mais non, tu crois que t'as mal. Change ta croyance et t'auras plus mal !"
2. Cette démarche sous-entend que le problème ainsi que les solutions résident exclusivement en toi. Cela fait peser entièrement à l'échelle individuelle des difficultés qui sont parfois systémiques, parfois biologiques, parfois sociales... Et c'est vraiment très très pratique pour éviter d'aborder bon nombre de sujets. On peut citer notamment la décrédibilisation des luttes ouvrières par des théories psychanalytiques.
Dans le cas de l'autisme c'est notamment quand on a besoin d'anticiper, comprendre, décortiquer pour naviguer dans un monde incompréhensible. C'est un fonctionnement neurologique particulier, un rapport au monde - mais c'est souvent jugé comme "trop cérébral /mental" et c'est comme ça qu'on se paye une réputation de personnes coupées de nos émotions, froides, distantes, alors que nous avons simplement un rapport particulier, différent des valides, à nos émotions.
Et c'est aussi quand on dit à un autiste que les difficultés qu'il vit sont le résultat de ses "croyances limitantes". C'est validiste parce que ça ne prend absolument pas en compte que nos difficultés sont principalement le résultat d'une réalité biologique - neurologique. Là encore, un rapport au monde différent.
Alors soyons clairs : bien sûr qu'il y a des améliorations possibles, bien sûr qu'on peut travailler sur certains points quand on est en souffrance, handicapé, en dépression, etc... Mais les améliorations réelles ne peuvent pas se passer d'un temps (long et répété) d'écoute des difficultés exprimées sans jugement ni solution et en croyant la personne.
Ensuite, dans les améliorations possibles se distinguent deux grandes catégories :
- Trouver des techniques pour dépasser la difficulté
- Mettre en place des aides (humaines, mécaniques, chimiques...) pour accomoder la personne
Dans le premier cas, l'objectif est d'avoir une vie la plus "normale" possible (au sens fort : "dans la norme".) Dans le second cas, l'objectif est d'atténuer les souffrances, même si cela implique de sortir de la "normalité".
Je ne dis pas qu'il y a une démarche meilleure que l'autre, ni qu'elles sont radicalement opposées. En fait, toute l'enjeu du handicap (et peut-être de la vie en général...) c'est d'essayer de discerner quand aller dans un sens ou dans l'autre. Quand est-ce que j'essaie de dépasser mes limites, quand est-ce que je les accepte et les respecte.
Je dis "je"... parce que justement, la plus grosse difficulté c'est de bien comprendre que c'est une décision qui appartient à LA PERSONNE CONCERNEE. Oui, même si c'est un enfant. Oui, même si c'est quelqu'un à qui on a collé l'étiquette de "déficient intellectuel". Oui, même si c'est une personne non-parlante.
Je comprends bien que c'est difficile de demander son avis à quelqu'un avec qui on peine à communiquer - et évidemment il y a des situations où en tant qu'accompagnant on prend des décisions qui nous semblent dans le meilleur intérêt de la personne même si elle semble ne pas être d'accord (je pense par exemple à : maintenir la tête de mon fils quand on lui a fait des points de suture).
Mais garder en PRIORITE ABSOLUE que c'est d'abord la personne concernée qui sait ce qui est bon pour elle, ça permet de garder un cap SAIN même quand on doit prendre des décisions difficiles.
Or tant que nous entretenons les discours autour du "tout inconscient", des "croyances limitantes" ou la version énergétique "moi je suis empathe je sens les choses" (comprendre : des choses que tu ignores sur toi-même) nous justifions de mieux savoir ce qui est bon pour les autres. En dehors de l'arrogance inhérente à ce positionnement, cela peut surtout être dangereux pour la personne concernée.
Pour conclure...
Quand je dis que je ne suis pas capable d'appeler un professionnel de la santé, ou d'aller faire les courses... Faites-moi confiance, ce n'est pas une croyance limitante.
Parfois j'aurai assez d'énergie pour le faire, mais ça voudra dire que c'est la seule chose que je fais dans la journée. Ce sera un choix, forcément. Parfois je n'aurai déjà plus l'énergie et je le ferai quand-même - ça finira en shutdown (déconnexion, dissociation, immobilisme) ou en meltdown (crise, violence...).
Parfois je m'écouterai et je saurai que j'ai besoin qu'on le fasse à ma place.
Serai-je pour autant "une assistée" ? Devrais-je pour autant le vivre comme un échec, puisque l'autonomie nous est présentée comme le but ultime ?
Eh bien non ce ne sera pas un échec, mais bel et bien une victoire d'avoir réussi à m'écouter.